J’ai une admiration sans borne pour les grands maîtres du XIXème siècle… J’ai passé beaucoup de temps à admirer le plâtre du cheval de Jeanne d’Arc par Frémiet. Cette façon de rendre un cheval comme s’il l’avait modelé par couches successives : d’abord le squelette puis les muscles aux fines insertions avec ses articulations, les tendons, les veines apparentes puis la peau recouvrant le corps de l’animal avec tellement de légèreté qu’un frémissement de son encolure ne nous surprendrait pas…
Souvent, lorsque je travaille, je me demande si un jour je pourrais voir un modelage prendre vie sur ma sellette comme ce cheval qui piaffe pour l’éternité sur sa colonne du Musée d’Orsay…
Est-ce qu’être pleinement satisfait de son travail est présomptueux ou simplement dangereux pour un artiste ?
Est-ce que ce n’est pas cette inquiétude et ce désespoir qui nous saisissent en voyant sortir le premier bronze chez le fondeur qui nous permettent d’avancer ? Mais jusqu’à quand ? Combien d’années encore ?
Mais les meilleurs résultats sont obtenus chez ceux qui s’appuient sur une parfaite connaissance de la morphologie et de la mécanique du sujet traité. Le travail, sans cette connaissance, n’aura pas de crédibilité et demeurera insuffisant.
Et plus difficile encore que les exactes proportions données à ce cheval, c’est la capacité de l’artiste à le sortir de son immobilité minérale. L’encolure est légèrement arquée, l’œil et les nasaux dilatés puis le cheval se déplace donc une hanche est plus haute, les muscles du membre en appui se gonflent, le boulet s’abaisse. Chaque membre est à sa place dans la dynamique de l’ensemble. Chacun participe d’une mécanique précise, les sabots frappent le sol mais à la première approximation le cheval se fige, la vie s’en échappe et il redevient la simple représentation d’un animal sans âme.
Certains artistes arrivent au même résultat avec une grande économie de moyens. L’animal est épuré à l’extrême, on ne conserve que le flux vital capable d’animer la matière. Parfois, certaines parties du corps manquent à l’appel. Qu’importe, il y a tellement de force dans l’expression que l’œil de l’observateur y suppléé. Il en résulte un mélange d’exprimé et de tacite qui a lui seul anime l’œuvre jusqu’à la convenance de l’observateur.
Il va sans dire que ces artistes visionnaires ne travaillent pas moins que d’autres, plus réalistes.